Scalabilité, coûts, latence : les limites techniques du cloud public que les entreprises doivent anticiper

Le cloud public est devenu un pilier des infrastructures numériques modernes. Séduisant par sa flexibilité, sa rapidité de déploiement et son modèle à la demande, il est utilisé par une majorité d’entreprises pour héberger leurs services, données et applications critiques. Mais derrière cette promesse d’élasticité et d’efficacité se cachent des limites techniques bien réelles, souvent découvertes trop tard. Scalabilité, coûts cachés, latence réseau : ces points de friction impactent directement la performance et la rentabilité des projets cloud.

Scalabilité illimitée ? En théorie seulement

L’un des grands arguments en faveur du cloud public est sa capacité à s’adapter dynamiquement à la charge. Auto-scaling, déploiement mondial, provisioning quasi instantané… Tout semble fluide à l’échelle des plateformes. Mais en pratique, la scalabilité n’est ni infinie ni instantanée, surtout lorsque les charges deviennent massives ou critiques.

Goulots d’étranglement et quotas imposés

Les principaux fournisseurs comme AWS, Azure et Google Cloud imposent des quotas par défaut sur les ressources : nombre d’instances, volume de stockage, bande passante par région… Ces plafonds nécessitent des demandes d’augmentation manuelles, avec des délais non garantis. De plus, lors de pics de demande (événements mondiaux, périodes de soldes, campagnes marketing), les ressources dans certaines zones peuvent être saturées, rendant les déploiements instables.

Dans les architectures distribuées, la coordination entre les services devient un autre facteur limitant. L’auto-scaling horizontal ne suffit pas si les bases de données ou les systèmes de cache n’arrivent pas à suivre la montée en charge. La scalabilité doit être pensée de bout en bout, et non uniquement au niveau des instances applicatives.

Des coûts plus complexes et moins prévisibles qu’annoncé

Le modèle « pay-as-you-go » est souvent présenté comme une solution économique. En réalité, le cloud public peut devenir extrêmement coûteux si l’infrastructure n’est pas finement optimisée.

Facturation fine… et opaque

Les fournisseurs cloud facturent non seulement les machines virtuelles et le stockage, mais aussi la bande passante sortante, les appels API, les requêtes DNS, les lectures/écritures en base, ou encore les snapshots. Cette granularité rend le calcul des coûts très difficile à anticiper, surtout dans les environnements dynamiques ou multi-services.

Certains services managés (base de données, Kubernetes, fonctions serverless) incluent des mécanismes d’auto-scaling qui peuvent générer des surcoûts importants sans alerte préalable. Dans les grandes entreprises, ces dérives budgétaires sont amplifiées par la décentralisation des déploiements, où chaque équipe utilise ses propres ressources sans gouvernance centralisée.

Optimisation complexe et continue

Limiter les coûts nécessite de mettre en place des outils de monitoring, d’alerte et de nettoyage automatique (suppression des volumes orphelins, arrêt des VM inactives, optimisation des plans de stockage). Mais ces bonnes pratiques demandent du temps, des compétences spécifiques et une discipline opérationnelle constante.

C’est pourquoi certaines DSI envisagent aujourd’hui des approches hybrides ou multicloud, afin de reprendre le contrôle sur les dépenses tout en conservant les avantages du cloud public pour certains services.

Latence, bande passante, proximité : des obstacles aux performances temps réel

Si le cloud public offre une redondance mondiale, la latence réseau reste une contrainte majeure, notamment pour les applications interactives ou les traitements à faible tolérance de délai.

Des délais incompressibles entre régions

La latence entre un terminal utilisateur et une instance cloud dépend fortement de la localisation géographique des datacenters. Même si les clouds proposent des régions en Europe, certaines zones restent sous-équipées ou surchargées, ce qui oblige à héberger les services dans des régions éloignées.

Résultat : pour certaines applications sensibles (fintech, jeux en ligne, santé, industrie), la latence induite par le transit inter-région peut dépasser les seuils acceptables. Cela se traduit par des ralentissements, des pertes de synchronisation, voire des erreurs critiques en production.

Limites du réseau interne cloud

Les architectures microservices reposent sur des communications fréquentes entre services via API ou bus d’événements. Dans le cloud, ces appels passent par le réseau interne du fournisseur, qui peut aussi introduire des délais variables. La latence interne n’est pas toujours documentée et peut fluctuer selon l’heure, la zone ou la charge réseau globale.

Pour contourner ces limites, certains architectes privilégient des solutions en edge computing, ou réintègrent une partie de l’infrastructure en local pour rapprocher le traitement des utilisateurs finaux.

Vers une approche plus lucide du cloud public

Le cloud public n’est ni une solution miracle ni un échec annoncé. C’est un outil puissant, à condition d’en maîtriser les limites techniques, de concevoir ses architectures avec rigueur et de ne pas sous-estimer la complexité réelle de l’exploitation cloud à grande échelle.

Dans les projets critiques, il est essentiel d’intégrer dès la phase de design des mécanismes de surveillance fine, de test de charge réaliste, de contrôle budgétaire et de gestion de la latence.

De plus en plus d’organisations envisagent des architectures hybrides, où le cloud public est combiné avec des infrastructures privées, du edge computing ou des clouds spécialisés. Ce modèle permet de conserver les avantages du cloud tout en contournant ses points faibles, et d’atteindre un équilibre plus durable entre performance, souveraineté et coût.